Derrière la fortune de l’île d’Anguilla et de son « .ai », une forme de « néocolonialisme numérique »


Dans les Caraïbes, l’île d’Anguilla s’est trouvé un nouveau trésor : son « .ai ». Extension de domaine Internet du territoire – l’équivalent du « .fr » pour la France –, il est depuis quelques mois courtisé par tout un milieu, et pas n’importe lequel : celui de l’intelligence artificielle (IA, ou AI en anglais). Car avec la sortie publique de ChatGPT en novembre 2022 et la multiplication des investissements dans le secteur, ces deux lettres sont devenues une ressource précieuse pour les entreprises.

« Les chiffres parlent d’eux-mêmes », assure Vince Cate, informaticien chargé du registre pour l’île. Aujourd’hui, plus de 310 000 noms de domaines sont, selon lui, enregistrés avec le « .ai ». « En comparaison à 2022, c’est plus du double ! » Un nombre certes loin des mastodontes « .com », « .net » ou « .cn » (Chine), aux dizaines voire centaines de millions d’utilisations, mais tout de même impressionnant au regard des moins de 16 000 habitants d’Anguilla.

Cet engouement est une occasion économique conséquente pour ce territoire britannique d’outre-mer autonome, plutôt connu des plaisanciers fortunés pour ses lieux touristiques et des autorités pour son statut de paradis fiscal (Anguilla est inscrite sur la liste noire de l’Union européenne). Alors que le « .ai » injectait déjà 7,4 millions de dollars (6,8 millions d’euros) dans l’économie locale en 2021, les gains pourraient avoisiner les 30 millions en 2023, d’après Vince Cate, soit presque 10 % du PIB national (288 millions). Contactées à de multiples reprises, les autorités du pays n’ont pas donné suite aux sollicitations du Monde. Mais un tel gain serait nécessairement une bonne surprise pour cette région confrontée à de nombreux enjeux – fort taux de chômage, élévation du niveau de la mer et érosion de la bande côtière.

Détournement

La « success story » économique d’Anguilla illustre un changement de paradigme amorcé dans les années 2000 autour des noms de domaines, aux effets parfois pervers. « Alors que ces extensions étaient conçues à l’origine comme une sorte de matricule, une marque d’identité, cela fait longtemps qu’elles ne sont plus que des outils marketing », estime Pär Brumark, expert du secteur et collaborateur depuis plusieurs années de l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (Icann), l’autorité de régulation d’Internet.

« L’un des exemples les plus parlants, c’est en 2012 », ajoute Francesca Musiani, directrice adjointe du Centre Internet et Société, centre de recherche du Centre national de la recherche scientifique. L’Icann annonce alors l’extension des generic top-level domain (les noms de domaines génériques) qui, comme « .com » ou « .net », ne renvoient pas à un pays en particulier. « Concrètement, cela permet à toute entreprise de créer et posséder sa propre extension, en échange d’une importante somme versée à l’Icann », détaille la chercheuse.

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Catégorie article Politique

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